Lorsque j’ai rencontré Norbert Siegl à Vienne en mai
2001, j’étais loin de m’imaginer que j’allais rédiger
ces lignes. D’abord parce que modestement je ne me considère
pas comme un expert en la matière, ensuite parce que je ne
m’attendais pas à ce qu’il m’invite à apporter ma contribution
au site de l’Ifg.
En rentrant à Bruxelles, je me suis donc mis à réfléchir
au thème que j’allais aborder : pourquoi ne pas choisir l’anarchie,
la politique, l’érotisme, les personnages célèbres,
l’humour, la drogue, les animaux,… ? Ou pourquoi ne pas opter
pour une approche géographique : les pochoirs de Strasbourg,
de Bruxelles, d’Aix-la-Chapelle… ou italiens, espagnols, allemands,… ?
Vaste choix s’il en est ! Terrible dilemme !
Finalement les événements ont décidé
à ma place : en juillet, je devais me rendre en Pologne
pour des raisons professionnelles. En franchissant la frontière,
je ne savais pas encore que j’allais tomber à Varsovie sur
un véritable filon, ni que mon sujet était tout trouvé :
en toute humilité, j’allais aborder une réalité
peu présente dans la littérature spécialisée.
Ni le Das grosse Graffiti-Lexikon de Bernhard van Treeck,
ni Sybille Metze-Prou dans Pochoir, die Kunst des Schablonen-Graffiti
n’évoquent un volet polonais. Ce sera Varsovie et ses pochoirs.
Me voici donc au pied du… mur si j’ose dire.
Vous n’allez pas me croire et pourtant c’est la plus stricte vérité :
la première chose sur laquelle ma femme a attiré mon
attention alors que je rangeais la voiture le long d’un trottoir du
centre de Varsovie, c’est un… pochoir dans l’encoignure d’une porte !
Cinq jours plus tard, nous quittions la ville avec plus de 150 photos
dans nos bagages. (L’erreur était de croire que l’expérience
allait se reproduire à Cracovie, autre étape de notre
périple polonais).
Après l’euphorie du moment, force est de constater que l’analyse
de cette importante récolte n’est pas évidente :
beaucoup de ces clichés me laissent plutôt perplexe.
Pour la première fois, le touriste que je suis, est confronté
à une réalité culturelle difficile à cerner.
Ce n’est certes pas l’éloignement géographique qui
pose problème (1.500 km de Bruxelles, ce n’est quand même
pas le bout du monde ; c’est à peine plus loin que le
sud de la France…). La complexité de l’approche réside
bien plus dans la barrière de la langue et dans les références
culturelles, politiques, sociales, économiques, artistiques,...
d’un pays dont je ne sais pas grand-chose, je l’avoue bien volontiers.
Me voici donc confronté à une multitude de questions,
ou plutôt toujours à la même, celle de la lisibilité
des pochoirs.
Mais nuançons : je ne débarquais quand même
pas (tout à fait) sur une autre planète. Si l’hermétisme
des nombreux textes en polonais est total, beaucoup de dessins, qu’ils
soient bruts ou légendés, conservent une relative transparence
et permettent une interprétation assez aisée et immédiate.
Et puis, à côte du polonais, il y a d’autres langues
qui me sont plus familières (le français, l’anglais,
l’allemand), même si leur présence sur les murs varsoviens
est nettement moins fréquente. Je me garderai donc de classer
les pochoirs selon leur contenu.
Le plus accessible, c’est le portrait. Pour peu que le dessin soit représentatif, le lien avec la célébrité est rapidement établi. - portrait de Jim Morrison (commémoration du vingtième anniversaire de sa mort ; le pochoir a résisté dix ans ! Est-ce par respect du chanteur ?)
- portrait de Che Ernesto Guevara avec sa célèbre casquette parfois étoilée, parfois sans cette étoile. (Récupération politique ? Censure ?)
- portrait du Dalai Lama accompagné d’une citation : « Vis en accord avec ton cœur et sers autant que tu pourras »
- portrait d’un fameux duo du cinéma américain : Gene Kelly et Frank Sinatra dans une production typiquement hollywoodienne : « Anchors Aweigh »
- à cette galerie « classique » s’ajoute l’incontournable – quoique contesté par les jeunes générations polonaises, ai-je appris – Lech Walesa (électricien au chantier naval de Gdansk, fondateur du syndicat Solidarnosc et ex-président de la République polonaise).
Les autres dessins « bruts », peut-être
moins innocents qu’il n’y paraît, garderont leur secret, même
si une lecture au premier degré n’est pas exclue. Ne gâchons
donc pas notre plaisir de la découverte et ne nous posons
pas (trop) de questions… Voyez plutôt : - un sympathique chaton miaulant
-
un peu d’humour à la « cartoon » avec une tortue
faisant l’amour à un casque de soldat
". Sur le site
http://szablon.art.pl/baza.php?ind=9&sesja=7
le même pochoir
- chat assis sur un téléviseur posé sur une table à côté d’un vase. Notons que l’écran permet la surcharge et donne un dynamisme réaliste à l’ensemble. Le téléviseur est allumé, un programme passe à l’antenne
Je citerai encore en vrac : chat miaulant et chien aboyant face
à face ; chien faisant le beau ; personnage de profil
fumant ; tête de rasta ; portrait abstrait ;
voiture ; insectes (papillon et mouche) ; tête de
tigre ; abstractions… Et je terminerai cette première « catégorie » par un cas tout à fait intéressant. Un petit bonhomme tout souriant qui a son histoire. Trois mois avant Varsovie, j’avais photographié à Vienne exactement le même pochoir, à la couleur près (rouge fluo en Autriche, mauve en Pologne)! Un Viennois à Varsovie ? Ou l’inverse ? Ou alors un citoyen du monde qui préfère poser son pochoir sur un mur que ses bagages dans une ville ? Dans la mouvance « techno » ou « acid », ne serait-ce pas une marque de dealer ?
Viennent ensuite les dessins, dessins légendés ou textes
seuls, porteurs de messages de tous ordres (politiques, anarchistes,
religieux, écologiques et écologistes, sociaux, culturels,…)
plus ou moins décryptables. - tête d’homme aux yeux bandés et à la bouche baillonnée – Demokracja ? (tiens je comprends le polonais !)
- lanceur de cocktail molotov – Anti Fascist Action
- deux drapeaux croisés + anarchie – Vive la révolution ! – Vive l’anarchie !
- I put my trust in you (que j’ai également rencontré sous une forme « améliorée » avec une surcharge au marqueur qui en détourne le sens général : « God »)
- deux mains agrippées à un code-barres rappelant les barreaux d’une prison (message anti-globalisation ?)
- la reproduction de l’affiche du film American Pie
- le sigle du constructeur automobile - Arbeit macht Daewoo (allusion à une situation sociale en Pologne ?)
-
la légalisation des drogues douces (la feuille de marijuana) figure
comme ailleurs en Europe au hit parade des thèmes abordés
par les pochoiristes polonais.
Les autres clichés que j’ai ramenés devront d’abord
être traduits avant que je puisse en tirer une information
intéressante. Ils feront (peut-être) l’objet d’une deuxième
contribution.
Reste une inconnue : la raison de cette explosion de pochoirs
à Varsovie. Mais ce n’est pas la seule ville à les
accueillir. Le site http://szablon.art.pl/baza.php
propose des centaines de pochoirs de la capitale, mais aussi de
Wroclaw et de Lodz essentiellement. Comme je l’ai déjà
signalé, Cracovie (en tout cas le centre) est un véritable
désert culturel en la matière. Mes articles sont hébergés par le site de l’Ifg (Institut für Graffiti-Forschung) de Vienne (Autriche). Avec tous mes remerciements à Monsieur Norbert Siegl, son directeur. Überblicksseite über alle Publikationen Herrn Lodewicks: http://graffitieuropa.org/pochoirs.htm
©2002: José Lodewick |
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