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José Lodewick:
Les pochoirs de Varsovie - Juillet 2001
Acte deux : les gentils

Dans ma première contribution varsovienne, intitulée « première approche », j’avais prudemment limité mes commentaires aux pochoirs dont la lecture m’apparaissait clairement, sans - trop - d’ambiguïté, donc à tous ceux qui ne véhiculaient pas de messages en… polonais. Grâce à Marek Plaisant, un jeune étudiant belge dont la mère est polonaise, et qui parle parfaitement la langue, je me sens un peu moins frustré : beaucoup de pochoirs ont livré leurs secrets. D’autres, par contre, malgré la traduction, restent toujours aussi obscurs ; mais là je ne m’inquiète pas outre mesure : j’ai l’habitude de ne pas comprendre… Certains pochoirs en français, découverts dans mon propre pays, voire dans ma propre ville, cultivent jalousement leur hermétisme! Alors vous pensez…

La série que j’ai choisi de présenter ici tourne autour d’un thème assez large, celui de la grande mouvance écologiste-pacifiste, une espèce de flower power où « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » cher à l’occident des années soixante-dix et qui refleurit, si j’ose dire, en ce début du troisième millénaire.

Il semblerait, à en croire ma récolte, que l’écologie (au sens très large du terme) ait le vent en poupe en Pologne, que cette nouvelle idéologie permettra de résoudre tous les problèmes environnementaux ou en tout cas de poser les vraies questions et de dénoncer les vrais scandales. Bref que les Polonais doivent faire face aux mêmes difficultés que nous.

Commençons par laisser nos villes aux moyens de transport non polluants, laissons les voitures au garage (ou abandonnons-les carrément) et enfourchons à nouveau nos bicyclettes, c’est ce que nous dit très clairement ce panneau de signalisation sur fond urbain : « La ville aux vélos, pas aux voitures »

 

Et puisqu’il est question de déplacement, il n’y a pas que les êtres humains qui voyagent. Les animaux aussi méritent des conditions décentes de transport : les animaux ne sont pas des objets et ils doivent arriver vivants à destination. Ce ne seront pas ces pauvres porcs dont l’avant-train s’est transformé en cabine de poids lourd qui me contrediront

 

C’est là le Leitmotiv d’organisations aux ramifications internationales. Ainsi trouve-t-on sur les murs de Varsovie de nombreuses traces d’un certain « Klub Gaja ». Sachez qu’il s’agit d’une organisation-sœur d’un mouvement de défense des droits des animaux qui a ses implantations dans de nombreux pays d’Europe occidentale (le mien par exemple, la Belgique, est régulièrement secoué par les manifestations et autres actions musclées de l’association Gaïa, qui dénonce toutes sortes de scandales portant, entre autres, sur les mauvais traitements infligés aux animaux). Un de leurs slogans, accompagnant cette tête de chien - ou de renard - aux yeux tristes (anthropomorphisme ?) en gros plan, nous rappelle ici qu’un animal n’est pas une chose

Autre sujet d’attention de cette organisation (même si le pochoir n’est pas signé, on pourrait très bien en attribuer la paternité à un sympathisant du mouvement) : la lutte contre l’expérimentation animale. Le lapin qui pleure sur son sort nous supplie de ne pas le tuer et de ne pas acheter de produits cosmétiques testés sur les animaux, allusion sans détours à des pratiques très répandues et largement dénoncées

Soyons donc conséquents. Puisque nous nous interdisons de tuer les animaux, interdisons-nous aussi de les manger. C’est ce que nous conseille ce dessin commenté (ou texte illustré) qui représente des caramels emballés et qui dit littéralement : « Voici les seules vaches que je mange. Deviens végétarien »

Ici un petit mot d’explication s’impose : la « vache » est la forme que le confiseur a donnée à ses caramels faits à base de lait de vache.

Et dans un registre proche, la carotte au poing est l’expression d’une revendication pacifiste et humanitaire : de la nourriture à la place de bombes

 

Est-ce une manière de nous mettre en garde contre les effets de la surpopulation mondiale, comme le fait le pochoiriste qui signe « 3 fala » (la troisième vague) avec cette femme enceinte qui constate qu’on est toujours de plus en plus nombreux ?

Cette même « troisième vague » signe aussi cette autre incitation à l’action (même si cette dernière n’est pas très bien définie, à mes yeux en tout cas). « Levez-vous, mercenaires de la troisième vague » s’adresse de toute évidence à un groupe, mais lequel ? Que symbolise cette tête d’indien ?

La pollution industrielle est également à l’ordre du jour avec ces cheminées fumantes et ce message alarmant « la terre lance un s.o.s. »

Une tour lugubre au bord d’un fleuve (la Vistule ?) qui se découpe sur un paysage peu engageant symbolise(rait) la menace que fait peser le monde industriel sur l’environnement (ou serait-ce une interprétation on ne peut plus personnelle ?)

 

La Vistule, le fleuve qui arrose Varsovie, est aussi menacée, à en croire la carte dressée par le Klub Gaja (encore lui !) « Maintenant la Vistule ».

Et bouclons la boucle, en évoquant les méfaits de la voiture associée à la mort provoquée par les gaz d’échappement « voiture = piège »

Pensons donc aux alternatives et enfourchons nos chères bicyclettes !

Ce dernier pochoir mérite d’ailleurs un petit temps d’arrêt. D’abord il intéressera tout particulièrement les linguistes puisqu’il s’agit un bel exemple de dictionnaire mural bilingue illustré. Le terme polonais « rower » signifie en effet « Fahrrad » en allemand ou « vélo » en français.

Mais d’autres questions restent évidemment sans réponse : quel est le sens de ce pochoir ? Pourquoi l’allemand et le polonais ?

Ensuite, il y a la signature, une espèce de trident surmonté de signes + et x (ou d’hélices ? ou d’ailes de moulin ? ). Elle n’est pas unique, puisqu’elle figure sur d’autres pochoirs. Elle accompagne par exemple une tête de cochon avec ce texte plutôt sibyllin : « Nous sommes leurs tombes»

ainsi qu’un chien assez maladroitement dessiné, accompagné de la légende : « Avis de recherche ».

Cette signature invite par ailleurs le passant à ne pas aller manger chez McDonald’s ou lui demande de refuser la restauration rapide en général, puisque le texte dit « Je n’entre pas là ».

Mais il y a d’autres rapprochements. J’ai également découvert cette signature, elle-même agrandie, avec le slogan « Campagne pour la cause » et d’autres inscriptions hélas illisibles.

 Et la présence des mots « Die Blume » (la fleur) sous le fameux trident m’a permis d’associer à cette série cet autre pochoir illustrant trois manifestants portant une bannière avec ces mêmes mots « Die Blume »

Affaire à suivre…


Mes articles sont hébergés par le site de l’Ifg (Institut für Graffiti-Forschung) de Vienne (Autriche). Avec tous mes remerciements à Monsieur Norbert Siegl, son directeur.

Überblicksseite über alle bisherigen Webpublikationen Herrn Lodewicks: http://graffitieuropa.org/pochoirs.htm


©2002: José Lodewick, 34 rue du Merlo, B – 1180 Bruxelles, Belgique 02.376.49.49  

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