José Lodewick:  

Pochoir - miroir 2 - La bande dessinée


En guise d’introduction, je voudrais dépasser le cadre du sujet annoncé par une réflexion plus générale et plus personnelle à la fois. Il arrive que la découverte d’un pochoir s’accompagne d’un sentiment de complicité avec son auteur, tout simplement parce que « l’image » bombée est connue. Cette « re-connaissance » peut être triple à mon sens.

La re-connaissance immédiate.

Elle pourrait se manifester par une exclamation du type : « Ça, par exemple, mais c’est xxx ! » Au premier coup d’œil, je suis capable de l’identifier : qu’il s’agisse d’une personnalité politique, d’un acteur, d’un chanteur ou plus prosaïquement d’un objet, d’un bâtiment, d’un slogan, d’une publicité, ...

La re-connaissance différée.

Ce qui la distingue de la précédente, c’est tout simplement la lenteur de la réaction ; le processus est plus élaboré :

« Tiens, voici un pochoir qui me dit vaguement quelque chose ! ...

... voyons, voyons, je fais appel à ma mémoire...

... et …, à la réflexion, il se pourrait bien que ce soit xxx ».

Ma mémoire ne me fait pas complètement faux bond, mais le rapport que j’entretiens avec le pochoir est loin d’être spontané. Le recul est trop important pour pouvoir parler de réelle complicité, car il m’est impossible de réagir au quart de tour. L’intensité de l’émotion n’y est pas.

La re-connaissance assistée.

C’est évidemment le pire des cas.

Dans le meilleur des pires des cas, je subodore le lien avec un xxx, sans pouvoir l’identifier pour autant. Je dois faire appel à d’autres, plus experts, que j’interroge : « Ce dessin, ça ne te dit rien ? »

Dans le pire des pires des cas, je n’ai rien vu, rien compris, rien senti ! C’est la personne à qui je montre la photo, qui s’exclame « Ça, par exemple, mais c’est xxx ! » J’ai besoin d’une explication, sans quoi je resterais l’ignare que je suis, jusqu’à ce que mort s’en suive ! C’est une affaire de références culturelles. Et quoi de plus subjectif, de plus personnel, que la culture. Dans ces conditions, le pochoir ne m’est pas destiné ; je le regarde comme un étranger. Et si c’était moi l’intrus ? Frustration ! Celle de ne pas comprendre le sens du pochoir, sa raison d’être ; l’impression d’être exclu de la fête, de ne pas avoir été invité ou initié (j’y ai déjà fait allusion dans mes contributions précédentes sur la Pologne).

Force est de constater que c’est la première re-connaissance qui marque le plus, puisqu’on se sent directement interpellé, complice, en quelque sorte (je l’ai dit). Donc même si j’ignore la réelle motivation du pochoiriste, ce partage réchauffe le cœur et fait oublier cette autre incommunicabilité.

Pour établir la transition avec le neuvième art : il m’arrive de pouvoir resituer le pochoir dans le contexte de sa création (nom du dessinateur, titre de l’album, description de l’action, etc.) En d’autres termes et plus concrètement, j’ai lu la BD, je m’en souviens parfaitement et je peux même procéder à une comparaison et conclure : le dessin est conforme à l’album ou il a été détourné de sa destination première pour mener une existence propre. Il y a donc reproduction ou inspiration. Mais ces deux formes de copiage se déclinent sur une infinité de nuances, allant de la fidélité à l’original la plus intègre à l’imagination la plus débridée.

Si la reproduction est plus ou moins fidèle à l’original et ne semble pas (?) véhiculer de message particulier, l’inspiration est beaucoup plus complexe. Elle peut être un vulgaire plagiat comme une adaptation géniale. Mais les exemples que j’ai trouvés sont trop peu nombreux pour en tirer la moindre conclusion. Il s’agit dans tous les cas relevés, à une exception près (la sulfureuse Claudia dessinée par Manara et présentée plus bas), de dessins légendés ou plutôt de textes illustrés. Le pochoiriste s’inspire tout simplement de la stratégie de la publicité. Nombre de personnages de BD vantent les mérites de tel produit ou de tel service. C’est bien connu et… efficace.

Après cette première approche, le moment est venu d’ouvrir notre galerie de portraits. Là où la comparaison avec la source était évidente, j’ai reproduit pochoir et BD côte à côte. La ressemblance est parfois hallucinante ! C’est le cas des deux premiers.

Le nu aux cheveux bleus, extrait d’une planche de l’album d’Enki Bilal « La Femme Piège » (éditée en album en 1986, et publiée chez Les Humanoïdes associés en 1992), en est un superbe exemple.


Quant au second pochoir, il s’agit également d’une version simplifiée ; cette fois, de la couverture d’un album de Didier Comès « La Belette », pré-publié en 1981 et 1982 dans (A suivre) et publié chez Casterman en 1983. Remarquons dans le coin supérieur droit de « La Belette » une signature (?) qui fait songer à la « Marque Jaune », un album de la série des Blake et Mortimer du Belge Edgar Pierre Jacobs.


Cette « marque » aussi je l’ai trouvée, à Bruxelles. Notons que le pochoir et la couverture de l’album présentent le même support de briques rouge foncé (utilisé assez rarement par les pochoiristes à cause du manque de lisibilité).


Faut-il présenter les aventures du jeune reporter créé par Hergé ? Pas la moindre hésitation pour identifier la célèbre fusée à damier rouge et blanc qui a emporté Tintin sur la Lune. Pas de doute non plus sur l’origine de ce signe cabalistique et Tintin le connaît aussi.


Les deux portraits du jeune reporter ne sont pas très élogieux : le premier est naïf et le second en ombre chinoise est à peine évocateur, de sorte qu’il m’est impossible de les associer avec une aventure particulière.


Impossible aussi de situer le capitaine Haddock, le fidèle ami de Tintin ; ses vociférations ne me sont pas plus familières.


Les deux autres personnages sont le colonel Sponsz, le chef de la police bordure, dans « L’affaire Tournesol » (NB les lunettes ont dû être ajoutées par un méchant vandale). Le second n’est autre que le professeur Müller, ennemi juré de Tintin (qui lui aussi a été affublé d’une barbe).


Le garnement avec pot de peinture et pinceau n’est autre que Quick, héros d’une autre série crée par Hergé : Les exploits de Quick et Flupke.


C’est un peu par hasard, en feuilletant les différents albums d’Hugo Pratt, que je suis tombé sur ce portrait de Corto Maltese dans « Fable de Venise » (il s’agit de la page d’ouverture du quatrième chapitre, p. 62). Les deux pochoirs sont totalement indépendants. Le premier vient de Strasbourg (1994) ; ma préférence va au second, photographié à Limal (Belgique) en 1998, même si un affreux vandale, militant de la cause anti-tabac je présume, a eu l’indélicatesse de retirer l’éternelle cigarette des lèvres du marin.


Dans le monde de la francophonie (dont je fais partie), le champion toutes catégories est sans conteste ce Corto Maltese, dessiné par un… Italien, Hugo Pratt. Véritable phénomène culturel, je l’ai retrouvé sur les murs des quatre coins de l’hexagone : Paris, Toulouse, Bordeaux, Strasbourg et même en Belgique, dans la petite ville de Limal. Quant au personnage qui termine la galerie, il s’agit de Raspoutine, dit aussi Raspa, qui croise en permanence le chemin de Corto.

 

 


Libératore, Tamburini et Alain Chabat sont les créateurs de la série des « Ranx ».


Quant à Monzon (son nom apparaît sur la chaise), il signe un pochoir particulièrement « hard » mais détourne (légèrement ?) la signification initiale. L’objet introduit analement n’est plus une bougie allumée, mais une bombe aérosol. Clin d’œil ? Message ? (Manara, Le Déclic, L’Echo des Savanes/Albin Michel, 1984, p. 39)


Et puis il y a encore Andy Capp de l’Anglais Smythe


et le personnage de couverture du second tome des « Idées noires » de Franquin, (Fluide Glacial - tome 2 - juin 1984)


Judge Dredd, qu’a incarné au cinéma Silvester Stallone, est un magnifique pochoir bruxellois qui malheureusement a été effacé.


Le papa de Silver Surfer, John Buscema, est décédé en janvier 2002.


Joe le tigre est un des héros de la Jungle en folie, bande dessinée animalière humoristique du début des années 70, créée par Christian Godard, scénariste, et Mic Delinx, dessinateur.


Le petit Mexicain est dessiné par Mordillo.


Le canard, c’est l’inspecteur Canardo, dessiné par le Bruxellois Benoît Sokal, une sorte de Humphrey Bogart à la Marlowe ou de Peter Falk à la lieutenant Colombo (question subsidiaire : qui porte l’imperméable le plus douteux ?) Les détracteurs de l’Etat policier ont trouvé leur porte-parole.

 


Spirou et son fidèle compagnon venu tout droit de la Palombie profonde, le Marsupilami (créés par le Belge Franquin).


Monzon, pochoiriste bruxellois, se fait une page de pub (Tome et Janry - Le petit Spirou).


Quant au cowboy, qui tire plus vite que son ombre, aucun doute : il s’agit de Lucky Luke sorti tout droit du crayon de Morris (encore un Belge).


Mes articles sont hébergés par le site de l’Ifg (Institut für Graffiti-Forschung) de Vienne (Autriche). Avec tous mes remerciements à Monsieur Norbert Siegl.

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