Qu’est-ce qu’un pochoir ? Comment ?! Je me serais donc esquinté pour rien ? Et mon article sur l’ombre chinoise alors http://graffitieuropa.org/pochoirs.htm ? Pas lu !!! Alors tant pis, je recommence, mais autrement : la définition que donne Le Petit Robert est très simple et parlante : « plaque de carton, de métal découpée sur laquelle on passe une brosse ou un pinceau pour peindre des dessins, des inscriptions. » Je me permettrai d’apporter une précision, bien pratique pour la suite de mon propos ; j’ajouterai au dictionnaire une nouvelle acception : « le résultat de cette technique ». Rien de neuf donc sous les cieux. Cette technique a permis pendant des générations, voire des siècles, le marquage des objets les plus divers : cartons, obus, conteneurs, etc. Voici quelques exemples de pochoirs « industriels ». Les quatre premières photos ont été réalisées chez un grossiste en matériaux de construction : un marquage bien explicite pour ces deux palettes de transport... … ou plus sibyllin (sauf pour les initiés) pour chaque planche. A l’origine, le pochoir est exclusivement utilitaire. Il permet d’identifier les objets les plus divers, de décrire le contenu de caisses, de préciser l’adresse du destinataire, de donner des indications de service, de numéroter les maisons d’une rue, de marquer au sol un passage pour piétons, une interdiction de stationner, etc. Et (petit clin d’œil au passage) comme il s’agit souvent d’écriture, on n’est pas à l’abri d’une…faute d’orthographe… (J’ignore l’origine de cette photographie, elle circule sur les sites humoristiques du net) De l’ensemble de ses utilisations, nous retiendrons une constante : le caractère répétitif de l’opération. Il est évidemment beaucoup moins fastidieux de passer un pinceau sur une plaque découpée que de reproduire des dizaines, voire des centaines de fois les mêmes lettres d’un même texte, avec tous les risques d’erreur que cela comporte. Retenez cet élément répétitif, j’aurai l’occasion d’y revenir. Par ailleurs, profitons-en pour dépoussiérer notre définition. Si elle s’applique en premier lieu au domaine industriel, la technique peut s’étendre à toutes les autres formes de la communication visuelle : slogan politique, message personnel, graphisme, humour,… et art ; le tout pouvant être savamment combiné.
Trois éléments matériels sont nécessaires à la réalisation d’un pochoir : un gabarit (1), de la peinture (2) et un support (3).
1. Le gabarit
En général, il s’agit d’un carton ou d’un bristol, le plus rigide possible (250 gr au m² est un grammage correct). Il s’agira de trouver le meilleur rapport qualité/prix (les dures lois du capitalisme touchent même les plus réfractaires au système). Et peut-être faut-il voir dans la qualité du gabarit une explication du plus beau paradoxe du pochoir : comment se fait-il qu’il est relativement peu fréquent de trouver plusieurs exemplaires du même dessin ? Le pochoiriste serait-il tellement différent du taggueur ? Pourquoi ne trouve-t-on généralement qu’un dessin unique, alors qu’on s’attend techniquement à la multiplication du motif ? Tout simplement parce que carton et humidité ne font pas bon ménage. Une imprégnation répétée va provoquer la déformation du gabarit, voire sa lente (?) désintégration. Le carton ne résiste pas à l’accumulation de couches de peinture, ses contours vont rapidement se détériorer, empêchant même toute « re-production » du dessin. Donc je reviens à mon point de départ : seul un matériau de qualité permet la répétition. A titre de comparaison : les gabarits utilisés par l’industrie sont généralement métalliques ou en matière synthétique. Mais à chacun son truc,… pourvu que le matériau choisi associe imperméabilité et flexibilité : il faut que le gabarit puisse épouser des formes. Sans souplesse du matériau, impossible de réaliser un pochoir sur un support qui ne serait pas parfaitement plane.
2. La bombe Ne nous attardons pas trop sur l’arme fatale, le pochoiriste s’en charge bien volontiers. Il lui rend très souvent hommage. Elle est très souvent mise en valeur, jusqu’à devenir le personnage central de la scène illustrée. Faut-il s’interroger sur la provenance de l’aérosol, acheté ?, volé ? dans les grandes surfaces et chez les distributeurs d’accessoires automobiles. Parfois le pochoiriste en utilise plusieurs différents pour s’attaquer à la polychromie. Pourquoi l’aérosol plutôt que le pinceau et le pot de peinture ? Question de bon sens et... de rapidité surtout. Vous ne voyez quand même pas le pochoiriste clandestin se trimballer de nuit avec un attirail encombrant... Trop lent tout ça et peu pratique quand il s’agit de prendre ses jambes à son cou pour échapper aux pandores. Mais cette arme du crime, celle par laquelle le scandale arrive, comment l’appeler ? On parle de « l’art aérosol » pour désigner les graffs. Alors pourquoi pas la bombe, et partant, bombage, bomber. Ce nom lui va comme un gant, malgré l’homonymie peu rassurante avec cet engin de mort, la bombe à mèche, bourrée d’explosif. Comme les deux « bombes » sont fréquemment utilisées comme motifs de pochoir, il s’agira évidemment d’établir un subtil distinguo dans les descriptions. Notons que les pochoiristes entretiennent cette ambiguïté des termes : « attentat à la bombe », « port de bombes obligatoire », « halte à la bombe », etc. Et tout compte fait, pour les autorités, le plus grand danger, c’est quoi ? Le coup d’aérosol ou l’explosif ? Monzon, célèbre pochoiriste bruxellois, s’est exprimé sur la question dans une interview accordée au quotidien flamand De Standaard. Il dit en substance : « Pas étonnant que ça s’appelle une bombe dans le milieu. C’est une forme de guérilla urbaine : moi contre le reste du monde. Ce que dit le graffiti, c’est : moi aussi j’ai le droit d’exister. Respectez-moi » (De Standaard magazine, 20/06/1997, p. 7) Désintéressons-nous donc, par pudeur, de la personnalité de l’artiste. Ayons la candeur naïve de croire que tout est parfaitement honnête. Juste une petite citation pour remettre certaines pendules à l’heure. Voici une phrase extraite de la présentation de Keith Haring par le Musée des Beaux-Arts de Montréal : Keith Haring voulait à tout prix démythifier l'art et le mettre à la portée de tous; ce qui l'a amené à créer de nombreux graffitis, notamment dans le métro de New York. Il y peignait, jetant un regard inquiet par-dessus son épaule, toujours à l'affût du policier qui viendrait le surprendre et l'arrêter. http://www.mbam.qc.ca/expopassees/haring3.html No comment… et pourtant. Je n’irai pas faire le panégyrique du pochoiriste, ni l’apologie du pochoir. Je comprends parfaitement le courroux des autorités publiques, le ras-le-bol des propriétaires qui se voient partager entre le désir de repeindre pour la énième fois leur façade souillée et la résignation à l’idée que la peinture fraîche attirera de nouvelles déprédations. Mais il n’empêche qu’intrinsèquement il y a travail d’artiste et oeuvre d’art. Le pochoir photographié, sorti de son contexte, se regarde comme une peinture exposée dans un musée ; l’album se feuillette comme un catalogue d’exposition. Il n’y a plus de vandalisme, il n’y a plus que l’art.
3. Le support en un mot comme en cent : le support, c’est… la ville. Le pochoiriste n’est pas un campagnard et rares sont ses traces découvertes en dehors des milieux (sub)urbains. Il manifeste une prédilection certaine pour la borne téléphonique. Symbole de la communication et de l’universalité ? Peut-être, ou alors beaucoup plus prosaïquement surface assez rugueuse permettant de fixer la couleur sans trop de problèmes. Ou est-ce la teinte gris neutre des télécoms qui permet au pochoir de mieux se mettre en valeur ? Suggestion aux Télécom : voici comment habiller les bornes téléphoniques pour les rendre plus sympathiques Le seul impératif, c’est une surface suffisamment accrocheuse pour accueillir la peinture projetée qui a la fâcheuse manie de se mettre à pleurer dès qu’on s’attarde un peu trop longtemps sur un endroit ; il faut éviter que la couleur appliquée trop généreusement ne se mette à couler. Il faut donc un sacré coup de patte pour y arriver ; essais et échecs sont légion dans les rues, mais heureusement il y a suffisamment de façades - peut-être moins de peinture. Il n’est pas rare de constater qu’un apprenti pochoiriste a préféré abandonner après quelques tentatives infructueuses, laissant comme seules traces de son passage des oeuvres inachevées ou franchement laides. A nettoyer au plus vite, mais là pas de problème. Ses souhaits seront vite exaucés. Par contre, le support ne doit pas être trop grossier, ni poreux de peur de voir le dessin avalé par son support, ce qui en rend la lecture nettement plus difficile.
passants joyeux et insouciants
Le bois est beaucoup moins utilisé : traité, il peut « couler » ; brut, il absorbe la peinture
plaque métallique sur porte vitrée servant de poignée Outre les impératifs de compatibilité entre matériaux, des considérations esthétiques peuvent également dicter le choix d’un support, puisque bien souvent il servira aussi de fond, de décor,... Certains artistes vont jusqu’à combiner les tonalités : support et couleur du bombage se mariant harmonieusement ou contrastant férocement pour ne former plus qu’un tout. Le noir est la couleur de prédilection, c’est celle qui tranche le mieux sur la plupart des supports, mais d’autres combinaisons sont possibles : rouge sur fond beige, bleu sur gris, vert sur blanc, argent sur noir,... Un dernier détail. La grosse majorité des pochoirs sont apposés sur une surface verticale. Les seules exceptions que j’ai relevées sont quelques trottoirs et escaliers, un rebord de parapet.
Les paroles d’une chanson de Jacques Brel sur les marches menant au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles Des pas au sol, normal non ? Pas facile à photographier, debout sur le parapet Mes articles sont hébergés par le site de l’Ifg (Institut für Graffiti-Forschung) de Vienne (Autriche). Avec tous mes remerciements à Monsieur Norbert Siegl, son directeur. Überblicksseite über alle bisherigen Webpublikationen Herrn Lodewicks: http://graffitieuropa.org/pochoirs.htm
©2002: José Lodewick |
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