José Lodewick:
A Barcelone ? Des pochoirs, y en a plein !
1. Les passe-partout
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Quand une étudiante m’a fait part de ce scoop, je me suis méfié. On me l’avait déjà fait ce coup-là, pour Cologne : une encyclopédie allemande m’en avait vanté les vertus « pochoiresques » («Cologne est l’une des métropoles artistiques les plus importantes d’Europe ; en matière d’art de la rue, elle peut parfaitement rivaliser avec Paris et New-York », écrit en substance Bernhard van Treeck dans « Das grosse Graffiti-Lexikon ». Mais quelle ne fut pas ma déception : Cologne avait subi les assauts de la Propreté Publique. Bilan apocalyptique : le centre avait été nettoyé. Plus de graffiti, plus de pochoirs, si ce n’est de loin en loin… un malheureux exemplaire qui avait échappé à l’efficacité d’un ponçage enragé, au jet meurtrier d’un nettoyeur haute pression, à la couche de peinture réparatrice et – cerise sur le gâteau – au traitement protecteur anti-graffiti… Ou alors je me suis pointé au mauvais moment, juste avant l’apparition d’une nouvelle génération (on peut rêver... et puis ce serait un prétexte pour retourner à Cologne !). Je vous parle d’un fameux mois de décembre 2001. Mais… oublions.
Cette fois, trois ans plus tard, en avril 2004, le tonneau catalan, lui, n’était pas percé… Si vous souhaitez chasser le pochoir sans faire perdre de temps à votre épouse qui veut bien partager votre passion… tout en s’intéressant à autre chose, c’est bien à Barcelone que vous devez vous rendre.
Ma traque photographique fut pour le moins miraculeuse (n’ayons pas peur des mots). A mon retour, je tenais plus de quatre cents clichés, avec certes parfois des doublons : la mémoire n’est pas toujours infaillible et à force de tourner et de retourner dans certains quartiers, on finit par se poser la question : l’ai-je déjà photographié, celui-là ? Et dans le doute, on ne s’abstient pas, on mitraille… surtout en numérique. Il sera toujours bien temps, une fois rentré, d’éliminer tout ce qui fait double emploi. Et bien à ce propos, je suis assez satisfait : si j’ai parfois photographié plusieurs fois le même sujet, les répétitions ne sont pas trop nombreuses. Monsieur Alzheimer n’a pas encore - trop - frappé.
Qui dit Barcelone, dit bien entendu tourisme (c’est une ville qui vaut manifestement le détour). Mais c’est précisément en la matière qu’il faut se distinguer, faire preuve d’un peu d’originalité : quitter les grands boulevards, s’éloigner des Ramblas, fuir les fourmilières humaines, oublier Gaudi, ne pas suivre les conseils du syndicat d’initiative et surtout ne pas lever le nez ; bref, il faut pratiquer un autre sport, l’anti-tourisme ; il faut se perdre dans les ruelles anciennes fréquentées par les seuls Catalans locaux ; et alors là, c’est la manne… plus de 400 pochoirs en 3 jours… c’est vous dire la concentration.
Et voilà bien mon problème aujourd’hui. Comment vous présenter tout ça ? Tout ? Certainement pas ! Va falloir sélectionner, trier, regrouper, résumer…
Mais je commencerai par une tragédie, un coup de cœur… ou un coup au cœur.
Souvent le pochoir vit une existence autonome ; il ne se soucie guère de ce que l’on pense de lui ; il veut bien se laisser regarder par qui veut bien lui abandonner un regard. Mais pour le reste, chacun pour soi, semble-t-il revendiquer. S’il est prêt au clin d’œil, à la connivence, ce n’est pas pour autant qu’il veuille se compromettre. Point de promiscuité ! Point de complicité !
Mais il en va tout autrement pour les deux pochoirs suivants, véritables témoignages.
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Un symbole, un cri, une révolte, une incompréhension, une date : celle du 11 mars 2004. Les heures sombres qui ont frappé la capitale espagnole sont encore dans toutes les mémoires : les trois coulées rouges sur et sous le mot « Madrid » sont autant de trains touchés par le terrorisme aveugle. Mais écrire « Madrid » à Barcelone, c’est montrer à quel point c’est l’Espagne entière qui souffre et veut se souvenir. Rares sont les pochoirs qui m’ont à ce point ému. Cette émotion, je l’attribue à la quasi-concomitance entre les événements tragiques et la découverte de ces œuvres. Peut-être aussi à la simplicité de la technique : le pochoir en tant que tel se limite au lettrage en noir de quatre consonnes et de deux voyelles ; le reste (le point fort), c’est la peinture rouge en trois coulées aléatoires. Et là se trouve indubitablement tout le poids émotionnel.
S’il n’y a pas de doute à avoir sur l’interprétation de ces deux pochoirs, il n’en sera pas toujours ainsi ; il en va d’ailleurs rarement ainsi. Les murs ne nous divulguent que ce qu’ils ont bien envie de nous raconter. Je ne reviens pas sur ce problème des références, de la re-connaissance, de l’interprétation ; je l’ai abordé, entre autres, dans mes articles consacrés aux pochoirs polonais, il est récurrent. Tant pis donc, passons à l’ordre du jour…
…et donnons un mot d’explication sur le sous-titre du présent article. Je considère comme « passe-partout » le pochoir « universel », celui qui pourrait se retrouver sur les murs de n’importe quelle ville, qui – au premier coup d’oeil et de manière on ne peut plus subjective bien entendu – sera perçu et compris en dehors de tout contexte local : pas de tapas, de bruschettas… mais une cuisine internationale dans un hôtel international : inodore, incolore, insipide. Mais n’en déduisons rien de négatif, voire de péjoratif : les «passe-partout » n’en demeurent pas moins des pochoirs à part entière : ils méritent bien entendu toute notre attention. Pour l’habitué que je suis, ces nouvelles œuvres n’abordent pas de thèmes nouveaux, certes, mais loin de moi la menace du blasement.
Chaussons donc nos baskets et préparons-nous à quadriller la ville, du nord au sud, d’est en ouest, du matin au soir, par monts et par vaux. Parcourons Barcelone la touristique : elle inspire le pochoirtiste, qui, l’espace d’un dessin, abandonne son cher catalan pour être compris par un plus grand nombre.
Pas étonnant donc de trouver de l’anglais sur les murs. Ce qui frappe, c’est le ton agressif : rien que des slogans râleurs, des invitations à la violence, à la destruction (voire l’autodestruction), à la désobéissance. Barcelone serait-elle le (un) creuset de l’anarchie ?
Et que doit penser le pauvre touriste de ces mises en garde contre le vol à la tire ? Va-t-il se mettre à raser les façades, une main sur le portefeuille, l’autre enserrant la lanière de son appareil photographique ? Lui en faudrait-il une troisième - protectrice - pour la passer autour de la taille de sa compagne encore plus vulnérable ?
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Et bien je lui dirais, à ce touriste : surtout pas de conclusions hâtives. Barcelone est très accueillante, très sûre, même dans ses quartiers les plus défavorisés. Nous n’avons rencontré aucune violence ; jamais nous n’avons ressenti le moindre sentiment d’insécurité. Alors prenons les pochoirs précédents (à l’exception des deux premiers bien sûr) et suivants avec le recul nécessaire de l’ironie, de la dérision.
Les lourdes masses manipulées par de charmantes jeunes femmes, les couteaux tirés, les revolvers (braqués sur soi), les mines patibulaires, les représentants de l’ordre (des bons ou des méchants ?), les vampires et autres suppôts du diable ont moins d’effets sur les sens du passant que les odeurs d’huile d’olive s’échappant des cuisines, de la baccala suspendue à la devanture d’un poissonnier. La gastronomie locale a le don d’occulter ce qui n’existerait que dans l’imagination du touriste effarouché. Priorité au ventre !
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Mais point de généralisation : ces représentations de violence ou d’horreur (pas bien terrifiantes, avouons-le) n’ont pas le monopole de la rue. En contrepoint, pour apaiser les craintes du plus timoré des voyageurs, retenons ces quelques messages pacifistes, ces fausses armes rassurantes.
Et puis il y a l’amour, pardi !
Rien de bien neuf en ce bas monde, donc?, disais-je. Et pourtant… Je mettrai en exergue l’œuvre originale d’un(e) pochoirtiste entomologiste. C’est la première fois que je rencontre ce type de dessins exploités thématiquement : des insectes, presque plus vrais que nature. A la limite, on aurait envie de prendre sa clef de détermination pour tenter de les identifier : mouche, fourmi, longicorne, papillon. Les uns (forficule, phasme, punaise, lépisme) se mettent au garde à vous, prêts pour une inspection en règle ; on aura d’ailleurs vite fait de dénicher une intruse (l’araignée avec ses huit pattes n’est pas un insecte). Les autres se déplacent en colonnes, ils fuient un hypothétique ennemi pour se précipiter dans… un trou pratiqué dans le mur.
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Mais il n’y a pas que les insectes, d’autres animaux font également partie du bestiaire; plus naturels les uns que les autres; les uns plus exotiques (buffle, piranha, élan,) que les autres (rouge-gorge, chat, chien), les uns plus stylisés que les autres (vache, mouton, sanglier).
Et il n’y a pas que les animaux, il y a aussi des gens… plus ou moins célèbres (c’est selon) : Groucho Marx, Steve McQueen, Bob Marley et le trio « coco » : Marx (l’autre), Engels et Lénine. Que les laissés-pour-compte de l’histoire, les anonymes ne m’en veuillent pas trop. Je leur promets de mettre tout en œuvre pour qu’ils retrouvent une identité.
Et puis il y a des « objets », tout droit sortis d’un catalogue de grande surface, dans un style proche de l’hyperréalisme : camera vidéo, taille-crayon, grille-pain, bidon d’huile, étiquette de prix (exprimée en euro je suppose) .
Epinglons encore parmi les objets, une voiture, des cônes de circulation, une grue à la flèche bien mobile, un masque à gaz, un avion, un hélicoptère (sur verre, très rare comme support)
Et une chaise… pour vous inviter à prendre place et à patienter…
… car la suite est à venir…
Mes articles sont hébergés par le site de
l’Ifg (Institut für Graffiti-Forschung) de Vienne (Autriche).
Avec tous mes remerciements à Monsieur Norbert Siegl, son directeur.
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